domenica 27 maggio 2007

L'Ardhu


Questo post è in lingua francese, ché in francese è stato scritto originariamente (nel 2003), ché parla d'un ricordo di quand'ero in Francia, ché proviene dal newsgroup di linguistica francese (al quale non partecipo più da tempo). Un ricordo, appunto. Una camminata in una foresta delle Ardenne. Vi compaiono (peraltro in forma del tutto anonima) anche delle persone le quali, credo (anzi sono certo), non vogliono più avere a che fare con me; né io con loro. Nell'improbabile caso che leggano questa cosa (ma non si sa mai), dico loro di stare tranquille: è solo un bel ricordo, e null'altro. Nessun tentativo di renouer des contactes.

J'ai dépassé les 35 ans de ma vie mortelle, et les forêts ne me font plus peur. Au contraire, je m'y sens à l'abri; parmi les arbres, les plantes, les chemins qui se perdent et s'entrelacent sans ordre apparent, et les animaux qu'on ne voit pas mais qu'on devine, rien ne me pèse.

Pourtant, je ne suis pas un solitaire idéologique; j'ai eu et j'ai une vie sociale assez bizarre, mais riche; ma connaissance des langues (hélas, peut-être trop instinctive ou trop peu raisonnée) m'ayant aidé à développer mon goût naturel du pluriel, je sens que je lui dois plus que des simples "traductions", souvent mal faites.

Le nom des Ardennes paraît dériver d'un ancien mot celtique, ardhu, qui signifierait: noir, obscur. Encore une forêt sombre et noire, comme le Schwarzwald ou la Foresta Umbra du Gargano. Il semble que la forêt partage la suprématie de l'obscur avec la nuit; mais il s'agit très souvent de l'obscurité qu'on a dans soi-même, et dans laquelle on s'effondre à la fois spontanément, pour voir si on est capable d'en sortir. Dans un morceau de forêt ardennaise, un jour d'été, j'ai joué pour la dernière fois avec moi-même et avec la solitude absolue. Avec le noir. Avec l'ardhu. Sans que ceux qui étaient avec moi s'en aperçussent, parce que je n'étais pas seul sur la douce pente menant à la forêt de Vendresse. J'ai gardé le secret, ce petit secret où le passé et l'avenir se confondent, jusqu'à ce jour où les mots tombent enfin sur la page blanche.

Il faisait chaud, ce jour-là; c'était le 12 juillet 2002. On était allés faire une petite balade, mais nos balades n'étaient jamais si petites et, pour moi, elles avaient aussi la dimension de la nouveauté et de la stupeur. Moi je n'aime pas marcher sur le macadam; mais donnez-moi un chemin blanc, des cailloux et de l'herbe à côté et je deviens un marcheur redoutable. Une clope avant de partir, entre les sourires de tes compagnons de voyage qui te regardent avec l'air de dire "regardez-le, il va arrêter en toussant, après cent mètres", et on y va. Mais après un quart d'heure de montée dans les champs, tu marches, tu marches comme un fou, tandis que les autres prennent leur langues à coups de pied. Je ne suis plus là; je suis ma sueur qui coule et qui m'agace comme des insectes invisibles, je suis mes godasses, je suis mes genoux qui craquètent, je suis ma haleine qui danse à un rythme pas toujours régulier.

Vous étiez là, je vous entendais bien; mais rien n'était comme avant.
Moi, la forêt, un ciel bleuâtre et un temps différent. Another time, another place ; et j'arrive à l'entrée de l'Ardhu juste comme on arriverait à une pauvre saison à l'enfer, mais un enfer à moi, un enfer sans prétention où je ne souhaite que la présence des gens et des choses que j'aime. C'est un enfer très vert, tranquille, même frais; c'est un enfer où il serait tellement agréable de s'endormir en rêvant d'être réveillé par un brigand, un saint, un chevalier loqueteux ou une jolie paysanne qui cherche à te vendre ses fleurs.

Et je m'enfonce dans la forêt inconnue, qui ne ressemble guère à celles de mes coins. Mes pieds s'embourbent dans de la boue séculaire qui ne doit jamais avoir connu l'état solide et sur laquelle je laisse des traces que ne seront peut-être jamais effacées. Tout sent la pluie, une pluie sédentaire ou déchaînée, paresseuse ou violente; il faut chercher un abri. Des branches, tombées d'arbres dont on ne voit pas la sommité, se pétrifient lentement tout en prenant des formes agréablement terrifiantes; je devine les sangliers, et leur nom c'est juste ce que je suis. Un singularis, un solitaire qui aurait toujours aimé se perdre dans des forêts d'arbres, mais qui, hélas, n'a fait jamais autre chose que se perdre dans la forêt presque inextricable de soi-même.

J'entends vos voix, vous ne devez pas être loin. De quoi parlez-vous?
Vous connaissez bien ces endroits, vous avez vécu là toute votre vie.
C'est vous, les ardhuinnates ; moi, je suis un intrus qui marche.
Pardonnez-moi, si vous pouvez; pardonnez ce marcheur d'autrefois qui va tout droit.

Et c'est ce jour-là que j'ai parcouru le seul chemin vraiment triomphal de ma vie. Un chemin de je ne sais pas quelle conifère, des sapins, des mélèzes, je l'ignore. Qu'ils étaient hauts, ces arbres-là; trente, quarante mètres, peut-être plus. Et ils savaient bien que j'étais si fier, si heureux, si orgueilleux de passer parmi eux, comme un roi qui sait que son règne ne durera que l'espace de cent pas. Je ne vous oublierai jamais, vous les grands arbres, vous les vrais rois qui avez fait semblant de vous incliner à mon passage pour me donner un quart d'heure de magie et d'illusion.